Appel à articles sur les sociologies numériques

Appel à propositions d’articles pour la revue Sociologie et sociétés

Dossier thématique : « Retours critiques sur les sociologies numériques »

Coord. Nicolas Baya-Laffite (Université de Lausanne, STS-Lab) : nicolas.bayalaffite@unil.ch et Bilel Benbouzid (Université Paris-Est Marne la Vallée, LISIS) : bilel.benbouzid@u-pem.fr

Mike Savage et Roger Burrows annoncent en 2007 dans la revue Sociology une crise à venir pour la sociologie empirique. Les deux professeurs de sociologie s’inquiètent de l’obsolescence proche des méthodes de collecte de données qui ont fait la spécificité de leur discipline (les enquêtes en population, les suivis longitudinaux, les entretiens, les reconstitutions de réseaux sociaux etc.). Les méthodes d’enquêtes couteuses et souvent laborieuses des sociologues, qu’elles soient quantitatives ou qualitatives, seraient progressivement « déclassées » avec l’accès supposé facilité à un nombre important de données de transactions sociales enregistrées au quotidien par les acteurs publics certes, mais de plus en plus par les acteurs de l’économie marchande et d’internet : « In an age of knowing capitalism, sociologists have not adequately thought about the challenges posed to their expertise by the proliferation of « social » transactional data which are now routinely collected, processed and analysed by a wide variety of private and public institutions » (Savage et Burrows, 2007). Pour survivre à un contexte de concurrence accrue entre différents types de savoir sur le social, la sociologie doit, selon les auteurs, se préparer aux évolutions numériques en marche.

La même année, Roger Burrows cette fois avec David Beers, publie un article, Sociology and, of and in Web 2.0: Some Initial Consideration, sur les orientations que pourraient prendre cette préparation. Les auteurs imaginent de passer d’une sociologie du web à une sociologie qui, pour ainsi dire, se love dans le web. Selon les auteurs, les transformations numériques ne doivent plus uniquement intéresser les sociologues des technologies de l’information et des communications, elles interpellent l’ensemble de la sociologie. Les réseaux sociaux, par exemple, doivent dépasser le statut « d’objet de recherche » pour devenir des instruments de recherche à part entière. En 2007, les données du web paraissent encore facilement accessibles. Burrows et son collaborateur voient les réseaux sociaux comme des archives ouvertes sur la vie quotidienne des individus, une sorte de « codification continue des habitus » par l’enregistrement systématique des préférences, des choix, des points de vue, des caractéristiques physiques, des situations géographiques, des parcours éducatifs, des situations professionnelles etc. Ainsi, avant l’engouement médiatique autour des méga-données (big data), les sociologues avaient déjà commencé à s’interroger sur les enjeux de l’adaptation de leurs pratiques de recherche aux nouvelles opportunités offertes par les données numériques.

Le ton programmatique de ces deux articles souvent cités invite à un retour critique s’interrogeant sur les évolutions numériques de la sociologie depuis une dizaine d’années. On voit poindre dans de nombreux pays des programmes de recherche et des instituts spécialement dédiés au développement d’approches plus intégrées du numérique dans la production de connaissance sur les phénomènes sociaux. En effet, face à l’abondance de supports d’enquête numérisés et de données produites sur et par le web, de nombreuses études empiriques numériques ont été réalisées ces dernières années en sociologie. Une « sociologie numérique » en plein essor, mais au contour difficile à dessiner, prend progressivement place dans le paysage académique.

Ce numéro a pour but de réfléchir aux répercussions concrètes des transformations numériques dans l’approche de la sociologie et, partant, des rapports de la sociologie avec ses objets, ses méthodes et ses outils. Quels sont les effets concrets de cette mise en numérique sur la sociologie et ses usages ? Dans quelle mesure avons-nous accès à des modes de compréhension inédits des phénomènes sociaux par le biais de nouvelles entités, qu’elles soient natives du web ou objets numérisés ? Comment ces nouvelles entités numériques sont-elles en train de transformer la pratique et la connaissance sociologique? Et, notamment, comment la sociologie s’équipe-t-elle pour se saisir d’objet numérique en constante évolution? Comment la sociologie gère-t-elle le caractère éphémère des outils et stratégies mis au point dans ce sens ? Comment les équipements développés se relient-ils à des approches spécifiques du social ? Que font les nouvelles techniques quantitatives de data mining à la visée interprétative de la sociologie ? Dans ce contexte comment s’articulent les tensions nouvelles entre approches quantitatives et qualitatives ? Quelles sont les conditions d’accès et de collecte de données pour faire de la recherche numérique ? Quels sont les lieux où ces nouvelles sociologies prennent forme ? Autrement-dit, quelles sont les organisations spécifiques dans lesquelles elles s’ancrent ? Quelle est la spécificité du regard sociologique sur le numérique par rapport à d’autres domaines qui s’en saisissent (journalisme, marketing, urbanisme etc.) ? Quelles sont les limites, les apories et les déceptions rencontrés par cette mise en numérique de la sociologie, notamment au vue de l’économie des promesses qui accompagne cette transformation? A l’aune des résultats obtenus à l’heure actuelle, dans quelles directions la nature du savoir sur le social évolue-t-elle?

Les articles attendus pourront ainsi répondre à une ou plusieurs de ces questions. Le dossier privilégiera des travaux de mise en perspective critiques alimentés par des expériences de recherches, des développements institutionnels d’équipements où des études empiriques sur des cas concrets.

Calendrier

Les intentions de contributions, comportant un titre, un résumé et un plan envisagé de l’article (3,000 signes max., espace compris, soit approximativement 500 mots) doivent être adressées aux coordinateurs (nicolas.bayalaffite [at] unil.ch et bilel.benbouzid [at] u-pem.fr) avant le 9 janvier 2017. Les intentions de contributions et les articles en anglais sont acceptés, compter tenu que les auteurs prennent en charge la traduction en français de la version finale acceptée. Les auteurs des propositions retenues seront avisés avant le 1 er février 2017. Les propositions sont à envoyer aux coordonnateurs du numéro.

Les articles finaux (70,000 signes max., espaces et bibliographie compris, soit approximativement 11,000 mots) devront être remis au plus tard le 12 juin 2017. Conformément aux pratiques de la revue, l’acceptation de l’article final dépendra des conclusions de la procédure d’évaluation par les pairs. La publication est prévue pour fin 2017.

Ce contenu a été mis à jour le 16 novembre 2016 à 19 h 17 min.